DataSud et Centrale Méditerranée ont été lauréats de l'appel à candidatures "Les fabriques de la connaissance" 2024 à destination des établissements d’enseignement supérieur et de recherche scientifique pour participer à une étude de recherche-action portant sur l'utilisation et la valorisation des données ouvertes du portail DataSud.
Dans cet entretien croisé, Laetitia Piet et Pauline Asselin reviennent sur trois années de collaboration entre le Service Connaissance du Territoire et la filière "Analyse des Données et Aide à la Décision" de l'école d'ingénieurs phocéenne.
Laetitia Piet est professeur agrégée de sciences sociales à Centrale Méditerranée ; elle coordonne avec François Brucker, professeur d'informatique, un parcours de formation dédié à l'analyse des données.
Pauline Asselin est animatrice territoriale des données, spécialiste des questions liées aux enjeux de l’ouverture des données ainsi que des défis technologiques et sociétaux afférents.
LP : L'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) Centrale Méditerranée forme des ingénieurs généralistes en 3 ans. La formation, d’abord généraliste, se spécialise en dernière année, avec le choix d'une option disciplinaire et d'une filière métier. La filière métier ADAD (Analyse de Données et Aide à la Décision) se concentre sur les savoirs et compétences essentiels pour l’analyse, la visualisation et l’utilisation des données. La pédagogie laisse une place importante aux activités de projet, réalisées en équipe et en lien avec des problématiques concrètes soumises par des parties prenantes internes ou externes.
Les projets menés avec l'équipe de DataSud s'inscrivent pleinement dans ce format pédagogique.
PAdW : La Région Provence-Alpes-Côte d'Azur a adopté une politique volontariste de gestion des données territoriales conformément à la loi NOTRe de 2015 (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), visant à coordonner l’information géographique régionale.
Depuis 2018, la Région porte DataSud, une infrastructure de données ouvertes et géographiques de référence sur le territoire, conçue à 100% en Opensource. DataSud n’a eu de cesse d’évoluer depuis son ouverture, à ce titre la Région en collaboration avec la société Neogeo Technologie a travaillé sur la refonte du portail, offrant une version plus conviviale et mieux adaptée aux besoins des utilisateurs, notamment sur les fonctionnalités géographiques.
DataSud favorise actuellement le partage de plus de 4000 jeux de données couvrant des domaines aussi divers que l'environnement, le climat, les déplacements ou encore des domaines relatifs à la vie quotidienne des citoyens, regroupés en "univers". DataSud comme vecteur de l'opendata contribue directement à la transparence citoyenne des politiques publiques avec un enjeu autour de la valorisation des données et des démarches des producteurs.
Dans le cadre de la refonte de l'interface web réalisée en 2024, les élèves ingénieurs de Centrale ont travaillé sur les données ouvertes. Cette collaboration s'inscrit dans le programme "Fabriques de la Connaissance" de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui encourage les partenariats avec les établissements d'enseignement supérieur et les laboratoires de recherche de la région. Concrètement, notre service propose à un groupe d’élèves ingénieurs des sujets d’application, dans une démarche pédagogique et expérimentale, en analysant les données ouvertes et en développant des services à partir des données publiques.
LP : Les activités de projet visent toujours une acquisition de compétences à travers la mise en pratique des connaissances plus théoriques acquises pendant le cursus. Ainsi, les objectifs sont assez opérationnels et concrets. Il s'agit pour les élèves d'utiliser et de valoriser les données DataSud, en menant de bout en bout un processus de production, d’analyse et d’ouverture de données, une fois nettoyées et enrichies selon les problématiques d'étude qu'ils ont choisies. Ces nouveaux jeux de données ont été publiés sur le portail dans l'espace dédié à l'organisation "Centrale méditerranée_Promo ADAD".
Ce faisant, tout au long de ce processus, les étudiants appréhendent aussi les enjeux et les démarches d’ouverture des données, avec les aspects concernant les licences de publication, les formats choisis pour publier la données, l'importance des métadonnées ; ils apprennent les bonnes pratiques en matière de réutilisation, de partage et de valorisation de l'open data.
En concevant des data-visualisations, les étudiants contribuent aussi à donner du sens aux données analysées. Enfin, ayant endossé les rôles d'utilisateur et de producteur sur le portail DataSud, ces derniers ont pu faire un retour d'expérience sur la nouvelle infrastructure régionale DataSud, en particulier sur le module de cartographie MAPS.
Ces projets alimentent ainsi des échanges vertueux entre les étudiants et les collaborateurs de DataSud : par leurs retours en tant qu'utilisateurs et leurs sollicitations, ils ont permis plusieurs améliorations en matière d'accès aux données et aux métadonnées, la correction de quelques bugs... Les collaborateurs de DataSud ont fourni un support technique et éditorial précieux tout au long du projet.
PAdW : L'équipe DataSud assure tout à la fois l’administration, la gestion et la maintenance de l’infrastructure et elle a accompagné sa prise en main par les étudiants non experts de ces sujets. Cela a donné l'occasion d'expérimenter un parcours utilisateur de DataSud, à la fois comme réutilisateur de donnée publique, mais aussi comme nouveau producteur de données. La façon dont les élèves ingénieurs s'approprient cette nouvelle interface et leurs questionnements nourrissent notre supervision de l'infrastructure et la gestion courante des ressources (données, API, widgets) disponibles sur DataSud, soit en actualisant certaines ressources, soit en corrigeant les bugs signalés.
Dans cette nouvelle version, DataSud transforme la gestion des données géospatiales et ouvertes en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en les rendant plus accessibles, structurées et valorisées, tout en encourageant une approche collaborative et interopérable. Le catalogue de données « Explorer » et les services numériques qui lui sont attachés (visualisation, extraction, conception de cartes…) contribuent à une meilleure exploitation des ressources territoriales et à une prise de décision plus éclairée pour le développement régional et la planification territoriale.
Or DataSud est bien plus qu’un entrepôt de données, c’est aussi une instance d’animation fédérant et accompagnant de nombreuses structures publiques et privées du territoire dans une dynamique partenariale où les utilisateurs et producteurs sont placés au cœur de la démarche d’innovation publique par les données. Nous encourageons ainsi les collectivités à venir tester ces outils, qui viennent compléter un 1er niveau de réponse à leurs obligations réglementaires d’ouverture de leurs données publiques sur un portail dédiés pour rejoindre des entreprises et citoyens susceptibles de stimuler d'autres usages autour d’enjeux communs pour les territoires.
Forte de son bilan et de son savoir-faire en matière d’observation, d’analyse et de prospective, l’institution régionale offre dorénavant des outils et services innovants pour la publication, la visualisation et le pilotage des données destinées à améliorer les services aux usagers des territoires, entreprises, start-up, collectivités, chercheurs, citoyens, etc.
LP : Au cours de la formation qui s'échelonne de novembre à mars sur 5 semaines au total, plusieurs ateliers de travail et temps d’échange avec les administrateurs de DataSud ont été organisés, à Centrale et dans les locaux de la Région. En tout premier lieu, fortes de leur expérience, Pauline et son équipe commencent par sensibiliser les étudiants à l'environnement juridique de l'open data et les enjeux démocratiques sous-jacents au partage des données publiques. Ensuite, l'équipe DataSud présente toutes les possibilités pour naviguer dans l'interface et découvrir la richesse des outils mis à disposition tant pour la recherche des données que pour leur extraction et leur republication, sous différents formats (moissonneur de plateformes distantes, synchronisation des données avec le portail national, extracteur de données géographiques, outil de coproduction de jeux de données …), avec également la mise à disposition des webservices (Cartographies dynamique, API, widgets, marque blanche...). L'équipe apporte un soutien continu sur la prise en main de ces outils.
Sa formation de documentaliste apporte à Pauline des compétences très spécifiques en matière de publication de données et elle apprend aux étudiants les bonnes pratiques pour cataloguer aussi précisément que possible leurs travaux, afin qu'ils deviennent potentiellement des ressources pour d'autres utilisateurs.
Au-delà de ces aspects, les projets accompagnés sont aussi l'occasion de rencontres et d'échanges fructueux entre les étudiants et certains experts métiers. L'équipe DataSud a joué un rôle d'interface pour les mettre en relation, notamment dans le domaine de l'énergie. Grâce à leur rencontre, les étudiants ont pu mieux contextualiser les données, les compléter avec d'autres sources de données pertinentes, et ainsi affiner leur problématique et leur analyse.
En clôture du parcours de formation, les soutenances des projets constituent aussi un moment de partage de connaissances précieux entre les étudiants et certaines équipes métiers engagées dans des thématiques sur lesquelles les étudiants ont choisi de travailler, par exemple sur l'énergie, la formation, la protection du littoral.
PAdW : La collaboration est née d'abord d'une rencontre lors d'un challenge organisé par l'antenne Provence de l'association Data for Good. Il nous a semblé intéressant de construire une collaboration entre l'école d'ingénieur et la Région Sud sur les enjeux démocratiques de l'open data.
Ces trois années de collaboration nous ont permis d'enrichir graduellement les objectifs et le contenu du partenariat. La première année a surtout été centrée sur la sensibilisation aux enjeux de l'open data et la découverte des métiers de la donnée au sein de la collectivité territoriale. Les étudiants ont par exemple découvert les métiers d'éditeur / éditrice de données, et de géomaticien.e.
C'est lors de la deuxième année que les productions et la réutilisation des jeux de données ont vu le jour, dans un contexte de refonte du portail DataSud et de migration des données vers la nouvelle infrastructure logicielle. Cette troisième année, les étudiants ont pu non seulement utiliser les jeux de données publiés par DataSud, mais aussi devenir contributeurs. Autrement dit, la filière ADAD est devenue une "organisation productrice".
LP : Les étudiants ont carte blanche pour choisir les jeux de données à partir desquels ils veulent construire une problématique d'étude. On constate qu'ils ont des intérêts assez variés, et parfois influencés par la conjoncture. Par exemple, sur l'année 2023-2024, une équipe s'est interrogée sur les capacités d'accueil de la Cité Phocéenne, en termes d'infrastructures sportives, de logement et de transports, pour les JO 2024. On constate aussi un intérêt certain pour les problématiques environnementales et énergétiques. Par exemple, pour mieux comprendre les mécanismes complexes de tarification de l'électricité, ou pour évaluer l'autonomie énergétique de la région, notamment en matière d'énergies renouvelables. Les sujets choisis rappellent que les étudiants sont aussi des électeurs : par exemple, une équipe a étudié l'influence du découpage des circonscriptions électorales sur les résultats des votes, en comparant le scrutin municipal et le scrutin législatif ; ou encore, un groupe s'est intéressé à l'évolution du budget de la mairie de Cannes et aux corrélations entre type de dépense, équilibre budgétaire et échéances électorales. Cette année, il a été également question de l'érosion côtière, d'inégalités socio-économiques et éducatives à l'échelle territoriale et nationale.
LP : Pour moi, en tant qu'enseignante, j'observe que les situations de mise en pratique sont des leviers puissants d'apprentissage et d'acquisition de connaissances et de savoir-faire. Au-delà, je trouve important que les élèves-ingénieurs aient l'occasion par ces projets de mieux connaître le territoire qui les accueille pendant leurs études et de prendre conscience de problématiques socio-économiques, politiques, culturelles et territoriales spécifiques à la Région Sud en général et à Marseille en particulier. Pour certains étudiants en quête de sens sur leur métier et leur rôle en tant qu'ingénieurs face aux défis contemporains, ces projets sont l'occasion d'éclairer des enjeux qui les interrogent particulièrement, par exemple en matière d'environnement, d'équité socio-éducative ou de transition énergétique.
PAdW : Pour moi, en complément de l'éditorialisation des données, je pense que les contributions à l’Opendata des organisations, tant publiques que privées peuvent produire des services d'intérêt public de qualité et des communs numériques essentiels, grâce aux concours de collectifs citoyens, de certaine expertise de la société civile ou des acteurs sociaux économiques. Pour y arriver, il est important de sensibiliser les professionnels, ainsi que les étudiants et plus largement les citoyens aux “bonnes pratiques” pour la standardisation des données ouvertes.
Cet entretien a été réalisé à l'issu de la journée de restitution des travaux des étudiants de la filière "Analyse des Données et Aide à la Décision" de l'école Centrale Méditerranée le 27 mars 2025;
Leurs travaux seront progressivement publiés sur ce site.